Thématique : Visites Lieux : Corse

Visite-conférence des chapelles oubliées de la Cinarca et de Paomia

Rendez-vous avait été donné à un groupe d’une quinzaine de personnes (Covid19 oblige) sur la place de l’église St Martin de Sari d’Orcino afin de partir à la découverte d’une ruine majestueuse : l’église romane San Giovanni di Cinarca et d’autres vestiges de chapelles de même style autour du golfe de Sagone. Toutes ont la particularité d’être peu connues du grand public. Bernard ALLIEZ, notre guide et conférencier nous a fait partager sa passion et son érudition sur ces vestiges, évocation de l’influence pisane en Corse et des pratiques religieuses de cette époque.

Un chemin cahotique de 3 km conduit à une colline entourée de champs d’oliviers au sommet de laquelle trône une imposante ruine (photo 1) dont il reste l’abside et les quatre murs . Il n’y a plus de couverture et l’intérieur est envahi par des herbes folles. La ruine est au centre d’un amphithéâtre et occupe une situation privilégiée d’où l’on découvre l’ensemble des villages de la Cinarca, tous distants de moins de 2 km.

L’édifice est imposant, de style roman-pisan, évoquant le même modèle que la plupart des églises romanes corses construites entre 1080 et 1250 alors que l’île était sous domination pisane. Il s’agit d’une église « piévane », la piève étant une entité religieuse entre l’évéché et la paroisse. Le curé piévan pouvait administrer l’ensemble des sacrements au nom de l’évêque et percevait donc une dîme de la part des paroisses environnantes. Ce lieu fut pendant des siècles le centre administratif, religieux, judiciaire pour les populations alentour.

La base de l’édifice très identifiée est constituée par les fondations d’un sanctuaire antérieur datant des premiers siècles de la christianisation de la Corse à la fin de l’empire romain sur le site alors prospère de la ville d’Urcinium entièrement dévastée par la suite lors des incursions barbares : vandales, ostrogoths, lombards, puis barbaresques à partir de 650. L’édifice a souffert également des guerres entre les comtes de Cinarca et la république de Gènes.

Les pierres de l’édifice sont taillées, à l’appareillage parfait, de couleur gris jaune, jouant de la lumière. L’ensemble monumental est sobre, majestueux, parfaitement intégré dans le paysage de maquis, de chênes et d’oliviers. Le sol est taillé directement dans le granit, sans pavement, le chevet et l’abside sont orientés vers l’est, les ouvertures de l’abside sont destinées à illuminer la nef et sont décorées de trois lignes concentriques, marques authentiques des artistes pisans de l’époque. A l’ouest, l’entrée des fidèles présente des perforations pour la lumière et de petites cavités circulaires destinées à recevoir des céramiques polychromes. En haut des frontons est et ouest, une ouverture en croix dans la pierre contribue à éclairer la nef au centre de laquelle on distingue l’implantation du baptistère.

On retrouvera ces éléments de décoration dans deux autres édifices religieux de la région et notamment à San Giovanni de Paomia. Plusieurs éléments, comme les oculi font penser à la cathédrale du Nebbio.

Les vestiges de cette église « piévane » sont remarquables non seulement par la sérénité qui s’en dégage mais aussi parce qu’elle est un témoin de la domination des « cinarchese » puissante famille issue du légendaire Ugo Colonna.

Sampiero Corso y est venu vers 1560 pour haranguer les hommes de Cinarca à la révolte contre Gènes lors de sa dernière expédition. L’église fut définitivement abandonnée en 1684 après un incendie et un moindre usage des populations. Mgr Mascardi la décrit comme en piteux état en 1587.

Ses pierres furent largement réemployées dans les maisons alentour où on peut encore les remarquer.

La sortie se poursuit par un délicieux pique nique à Paomia préparé par Mesdames VMF de Corse sous un majestueux micoucoulier. Sera alors évoqué l’histoire tourmentée de Paomia, territoire sur lequel les habitants des villages de l’intérieur avaient depuis des temps immémoriaux l’habitude de faire paître leur troupeaux l’hiver et d’y cultiver du blé. La République de Gênes souhaite repeupler et mettre en valeur des zones côtières de l’île considérées comme abandonnées afin d’y implanter des populations fidèles à leur cause et c’est ainsi qu’une colonie de 600 grecs du Magne persécutés par les ottomans débarquent à Paomia et prennent possession de ces territoires. Cette implantation est vécue comme une agression par les villages de l’intérieur, et une grande injustice qui leur serait faite par Gênes.

S’ensuivront des décenies de luttes acharnées. Les grecs furent chassés en 1731 et se réfugièrent à Ajaccio.

Pourtant, les grecs seront récompensés par Louis XVI pour l’appui qu’ils lui ont apporté lors de la reconquête de l’île sur les corses révoltés. Ils sont établis par le comte Marboeuf sur un lieu-dit « Carghese » proche de Paomia. Le plan d’un nouveau village est dressé et 120 maisons voient le jour.

Enfin, pour clôturer cette journée, un exposé diaporama est présenté : thème « Splendeur du sacré en Corse ».

Nous remercions vivement le professeur Bernard ALLIEZ qui a commenté et animé avec érudition ces visites et Dominique et Marie-Christine JACQUIER qui nous ont aimablement accueilli au « Rondulino ».