Pour ce rendez-vous estival à la découverte des peintures murales de nos églises rurales de l’Yonne, nous étions plus d’une cinquantaine !
C’est à l’extérieur de l’église Saint Martin de Branches que nous nous sommes d’abord retrouvés, guidés par Antoine Leriche. Nous en avons fait le tour par le cimetière pour admirer la nef et le toit sur fond de coteau…typique de la région. Le chevet plat, de style roman était éclairé à l’origine par deux lancettes aujourd’hui bouchées.
C’est à la suite d’un don que l’église est possédée par les clunisiens de la Charité en 1144. En 1208 Guillaume de Seignelay la rachète aux moines pour la concéder en 1221 à l’hôpital ou Maison-Dieu d’Appoigny tenu par les chanoines réguliers du Grand Saint Bernard. Puis l’église a été réaménagée au XIV ème siècle et érigée en paroisse. Au XVIIIème la façade ouest a été reprise avec la construction d’un clocher carré qui remplace celui écroulé en 1698 et une sacristie est créée.
Depuis 2002 le CEM (centre d’études médiévales) de Saint Germain d’Auxerre s’est investi dans l’étude des différentes parties du bâtiment dans un travail interdisciplinaire. C’est en alliant le résultat des datations des charpentes par la dendrochronologie à l’étude des maçonneries, des matériaux de construction et des peintures murales que l’on a obtenu des fourchettes précises de datation. La charpente de la nef daterait de 1212-1228, puis le bas côté, plus tardif, aurait été érigé en 1292-1308.
En tout proche voisin, Gilles Guespereau nous rappelle que Branches est situé à la limite nord de la Bourgogne, d’où une construction de l’église en pierre plutôt défensive comme les châteaux forts qui l’entourent …
Madame Caffin nous précise, à l’intérieur de l’église, combien sa formation d’archéologue a été précieuse pour comprendre et dater les peintures murales, par exemple par l’étude des mortiers employés ou des photos anciennes. Cette église a été son sujet de thèse, elle a rencontré Madame Théry, une paroissienne, qui a financé, grâce à ses fonds propres, la première campagne de restauration en 2002 .Il s’est agi alors de fixer ces peintures et de faire des sondages pour en découvrir d’autres.
Une première couche fait apparaître un assemblage de pierres jointoyées à l’ocre rouge, avec des petites fleurs noires à cinq pétales (elles devaient être peintes à l’origine aussi à l’ocre rouge) référence aux apôtres « … sur cette pierre je construirai mon église …» ainsi que deux médaillons qui seraient sans doute à l’origine des croix de consécration. Dans chaque église il y en a douze, en souvenir des douze apôtres, l’Evêque les oint le jour de la consécration et de la chrismation des murs de l’église.
Ici on peut reconnaître Saint Barthélémy avec son couteau, il tient la croix de la consécration. C’en serait la plus ancienne représentation en France. Un peu plus haut une scène dont la signification est encore assez énigmatique : deux personnages dont l’un est couronné échangent un volume, puis une bataille avec des chevaux et des cavaliers…peut être une référence à l’histoire de Saint Martin ? Cette peinture murale est exceptionnelle pour le milieu du XIIIème siècle.
Une deuxième couche plus tardive et moins lisible rappelle un décor tiré des enluminures.
Les peintures murales du bas côté sont plus tardives : une procession de personnages qui marchent vers un autre homme en blanc, le rythme est souligné par l’alternance de robes rouge, jaune et blanche, sans doute pour commémorer un fait particulier. Le tout est encadré par une frise en serviette pliée. Notre guide nous rappelle que les pierres apparentes actuelles sont une aberration : les enduits protègent les murs. A l’époque médiévale tout était peint et avait du sens : la circulation dans les églises était soulignée par le sens de la lecture des scènes peintes aux murs. Elle nous précise bien la différence entre la technique de la peinture murale et de la fresque.
Nous rejoignons La Ferté-Loupière où nous accueille Madame le Maire, Irène Eulriet, avec un chaleureux apéritif champêtre. Vers 14 h 45, René Gratessole entre dans l’église pour nous la faire visiter à sa manière qui combine l’art, l’histoire et la culture.
L’église primitive date de la fin du XIème siècle ou du tout début du XIIème siècle. Nous savons qu’elle existait en 1137. Son portail est en pur style roman ainsi que trois des arcades intérieures de la nef, sur lesquelles s’élèvent des constructions gothiques du XIVème et de la fin du XVème siècle. On marche sur trois dallages superposés, dont le dernier en date est de 1856. Les piliers d’origine de l’église romane se trouvent aujourd’hui enfouis sous terre, suggérant vraisemblablement une lente accumulation des alluvions du Vrin au cours des siècles, qu’on évalue à deux mètres de hauteur en neuf siècles. L’église connut une troisième élévation et de nouvelles transformations au XVIIème siècle, principalement sous la voûte principale et les bas-côtés.
Le cœur de la visite sont bien sûr « les peintures murales » qui s’étendent sur le mur gauche de la grande nef, au-dessus des trois premières arcades. Ce ne sont pas des fresques, au sens technique du mot, mais des peintures exécutées sur un enduit sec. Elles ont été découvertes en 1910 par le Marquis de Tryon-Montalembert, châtelain de la Vieille-Ferté. Un badigeon les recouvrait ce qui explique que plus personne n’en soupçonnait l’existence. Elles ont été classées par les Beaux-Arts en 1911 et restaurées par Gsell Maury en 1912, aidé par l’abbé Mertens, curé de l’époque. En 2009, elles ont été honorées par l’Académie des Beaux-Arts qui leur a attribué le Grand Prix Prince Louis de Polignac.
Cette vaste décoration murale comporte quatre sujets : en haut, « le Dit des trois morts et des trois vifs » (ou mieux puisqu’il s’agit d’une peinture : « la rencontre des trois… ») puis la peinture de la « Danse Macabre », accolés l’un à l’autre et s’étendant à la manière d’une longue procession de 25 mètres de long sur près de deux mètres de haut. Au-dessous de ces peintures , deux autres peintures de dimensions plus réduites : « Saint-Michel terrassant le démon » et une « Vierge de l’Annonciation ». Ces peintures ont été exécutées vers la fin du XVème siècle. Une hypothèse attribue les peintures, du moins « le dit des trois morts » à l’atelier des Lerouge, famille d’imprimeurs qui possédaient des ateliers à Venise, Pignerol, Embrun, Paris, Troyes et Chablis. Guillaume Lerouge avait gravé pour Guyot-Marchant une des premières éditions de la Danse Macabre, inaugurée à Paris en 1485 et à Troyes en 1486. En 1489, Guillaume séjourna à Chablis où il fonda une des premières imprimeries françaises.
La Danse Macabre de La Ferté-Loupière (photo ci-dessous) comprend 42 personnages : l’acteur, trois morts musiciens puis dix-neuf couples constitués d’un mort et d’un vif. Ici nous n’avons pas le texte rimé qu’on lisait dans les livres ou sous les fresques parce nous sommes dans un village où les habitants ne savent pas lire. Parmi ces personnages, l’un réserve une énigme,L’amoureux ! Saisi aussi par la mort qui le pique, il laisse tomber une fleur qui ressemble à une tulipe noire. Or au XVème siècle, la tulipe n’est pas encore arrivée en Europe. Quand cette fleur a-t-elle été ajoutée à notre danse macabre, et que peut-elle bien signifier ?
La précision du dessin, la fraîcheur et la variété des couleurs, ajoutent le charme des yeux à l’intérêt de la leçon. Cette douce harmonie d’ocre, de violet, de rose, de vert, de terre de Sienne et de terres d’ombre, habilement disposés, en font des peintures exceptionnelles tant par leur parfait état que par la beauté de leurs coloris. Si la présentation du système de « visite audio-guidée » en « lifi », est restée confidentielle, il sera inauguré en grandes pompes le dimanche 16 Septembre à l’occasion des journées du patrimoine. Et en route pour Saint Romain le Preux….